Le rôle de la Poste au cours de la Première Guerre mondiale est un sujet encore peu exploré. Avec ce numéro 3 des Cahiers pour l’histoire de La Poste, il s’agit à la fois de s’interroger sur le rôle de la Poste aux Armées lors de la Première Guerre mondiale, mais également de voir dans quelle mesure l’administration postale a contribué à la difficile réinsertion des anciens combattants une fois le conflit terminé.
L’étude d’Amandine Le Ber rappelle combien l’étroite collaboration entre la Poste aux Armées et l’administration postale était nécessaire pour tenter de répondre aux désarrois des soldats au front et de leurs familles à l’arrière. Dès les premiers jours du conflit, l’organisation postale peine à répondre à la soudaine masse des correspondances à traiter due à la franchise postale accordée pour toutes les lettres à destination ou en provenance du front. De son côté, la Poste aux Armées fait face à un double problème. D’une part, parce qu’elle est composée en majorité d’agents du ministère des Finances peu rompus aux tâches postales et que le rôle de l’administration postale dans l’organisation du service de la Poste aux Armées est très limité. Les ministères de la Guerre et des Finances se partageant la plupart des prérogatives concernant le fonctionnement du service. D’autre part, un des principes fondamentaux de la Poste aux Armées est d’occulter les mouvements des troupes en opération. Cela implique que le personnel de la poste civile, comme le public, doit ignorer les lieux d’origine des correspondances, et aboutit à un système complexe d’acheminement du courrier, dont Amandine Le Ber décrit avec précision le fonctionnement. La création des secteurs postaux, par le décret du 11 décembre 1914, répond aux dysfonctionnements constatés dès l’entrée en guerre. La réforme est le fait d’Alfred Marty, inspecteur général des Postes et Télégraphes. Après avoir proposé un changement radical du service postal militaire, il est chargé de la Poste aux Armées au Grand Quartier Général (GQG). De fait, comme l’indique Amandine Le Ber, la création de 150 secteurs postaux va grandement simplifier l’acheminement et la distribution des correspondances. Parallèlement va se mettre en place un contrôle rigoureux du courrier.
En effet, le courrier qui transite entre les différents « fronts » de la guerre, est soumis à une censure organisée par le Commandement militaire. Ainsi, des commissions de contrôle postal sont créées dans une trentaine de ville afin d’obvier aux indiscrétions d’ordre militaire et de renseigner le commandement militaire sur l’état moral des troupes. Et ce n’est pas le moindre intérêt de l’étude d’Amandine Le Ber de souligner la perception de la censure ainsi faite sur le courrier par les soldats. Cette censure est même perceptible sans qu’elle soit explicitement mentionnée, et elle débouche dans certains cas sur une autocensure tant dans la crainte des censeurs que dans celle de ne pas effrayer les proches des combattants. Malgré tout, le contenu partiel ou total des lettres retrouvé dans les rapports du contrôle postal permet de se faire une idée assez précise de l’opinion des soldats. Enfin, Amandine Le Ber montre tout l’intérêt que représentent l’écriture et le courrier pour le front des prisonniers, et également dans le processus de réintégration de l’Alsace dans la France. On pénètre avec ces écrits au sein des traumatismes que la guerre laisse dans la vie des hommes sur les différents fronts de la guerre.
Le monde des blessures morales et physiques, on le retrouve avec l’étude de Nadège Schepens. On aborde avec ce thème, rarement étudié dans le cadre de la Poste, celui de l’emploi des mutilés de la Grande Guerre dans les administrations. Après les traumatismes, les blessures morales et physiques, il s’agit d’aider les anciens combattants à retrouver une vie « normale ».
Suite à la guerre et à la démobilisation apparaît une nouvelle catégorie d’hommes : les anciens combattants. Parmi les six millions et demi de survivants, plus de la moitié sont blessés, un million sont invalides de guerre, 60 000 sont grands mutilés et entre 10 et 15 000 sont blessés de la face. Les stigmates de la guerre restent durablement présents et face aux difficultés du retour au foyer, les anciens combattants vont rapidement s’organiser pour faire entendre leurs voix. Nadège Schepens montre comment la création de diverses associations de combattants, et la construction plus tardive d’une « Confédération de la France meurtrie », naissent d’un besoin de solidarités et de relais avec la société. Elles sont une force de pression sur le législatif et l’exécutif afin d’obtenir les meilleures réformes possibles pour les anciens combattants, notamment une pension améliorée. Car les poilus ont la nette impression qu’ils ne sont pas traités avec la bienveillance qu’ils méritent et qu’on leur avait promise. Et parmi les mesures prises en faveur des anciens combattants, figure la réinsertion professionnelle et les emplois réservés.
L’administration postale étant une des plus importantes administrations de l’époque, elle est rapidement sollicitée. Dès 1915, une circulaire émanant du ministère des Postes et Télégraphes, relative aux emplois pouvant être attribués aux mutilés de guerre, est distribuée aux services postaux de chaque département. Nadège Schepens décrit alors comment les procédures donnant droit à ces emplois réservés restent compliquées. Les différents emplois postaux sont répertoriés dans une multitude de tableaux comportant à la fois les pathologies ou infirmités des postulants et leur correspondance possible avec les métiers de la Poste. Si la loi de 1923 impose que les trois quarts des emplois de facteurs reviennent à des candidats anciens combattants, Nadège Schepens note que l’administration postale peine à respecter ces quotas et ne le fait réellement que dans les années trente. Par exemple, la réinsertion des « Gueules cassées » pose beaucoup de problèmes et l’Union des blessés de la Face doit intervenir fréquemment auprès de l’administration pour faciliter la réinsertion professionnelle de ses adhérents. Au total, l’auteure montre que, malgré les difficultés, l’administration postale est restée une des seules administrations à proposer de vrais emplois pour les mutilés de guerre.
Benoit OGER
Responsable de la collection des Cahiers pour l’histoire de La Poste