Cette thèse retrace la genèse de l’activité de conseil financier à la Poste. Elle analyse l’émergence d’une fonction commerciale au sein d’une administration d’Etat en transformation rapide. La Poste est devenue Société Anonyme en 2010 et, de manière symbolique, la Banque Postale a été autorisée au même moment à distribuer des crédits à la consommation. Cette dernière doit néanmoins encore assurer un certain nombre de missions de service public et faire coexister des tensions organisationnelles anciennes mais non résolues qui se reportent au quotidien sur ses agents.
Le but de la professionnalisation analysée dans cette recherche n’est cependant pas de transformer le groupe professionnel en une profession. Elle peut donc être en partie considérée comme atypique. Même si elle réunit les traits fonctionnalistes de la « profession » anglo-saxonne (Wilensky, 1964), elle vise en fait à agir sur le personnel et constitue davantage une stratégie de contournement des résistances par la régulation du groupe professionnel qu’une autonomisation de ce dernier (Boussard, Demazière, Milburn, 2010). Or cette professionnalisation par le haut vise à résoudre les tensions vécues par le personnel soumis à des impératifs, que nous nommerons « prescrits », contradictoires. Cette résolution s’obtient par les changements organisationnels et la « soumission » du personnel postal permis grâce au processus de « professionnalisation par le haut » (professionnalism from above, Evetts, 2003). Pour étayer cette thèse, la démarche de recherche a reposé sur une articulation de méthodes qualitatives, quantitatives, ethnographiques et archivistiques. Ces différents matériaux ont été rassemblés dans la perspective d’une sociologie des groupes professionnels visant à analyser ce qui se passe au niveau du groupe sans perdre de vue en quoi consiste l’activité de travail et en y intégrant les spécificités liées au contenu du travail (Demazière, Gadéa, 2009).
Un premier pan de la recherche consiste à retracer la généalogie de La Banque Postale en partant des services financiers de 1953. La sociohistoire est mise à contribution ainsi que, dans une moindre mesure, la sociologie des organisations et la sociologie économique, pour étudier l’environnement concurrentiel (bancaire) de la Poste ou encore déterminer quels sont les modèles inspirants européens. Il s’agit ainsi de décrire, à une échelle macro-organisationnelle, le processus de financiarisation et d’insertion dans le marché de La Poste et d’appréhender l’ensemble des contraintes et opportunités qui, dans une conjoncture économique particulière, ont conduit au développement des services financiers postaux.
C’est dans cette perspective que la professionnalisation des conseillers financiers est ensuite étudiée. Les concepts de la sociologie des professions sont mobilisés pour faire apparaître les différentes étapes du processus de construction qu’a connu ce groupe professionnel émergent en 1991. Cette professionnalisation, inaboutie, a pour objectif de permettre une certaine régulation du secteur bancaire et le contrôle de ses salariés par l’organisation et même, de faire passer, par le biais son personnel, ses transformations organisationnelles. La professionnalisation apparaît ainsi comme une redéfinition de ses « juridictions » (Abbott, 1988) dans une stratégie d’articulation des différentes tensions.
Enfin, la dernière partie de cette recherche est centrée sur la transformation de l’activité de travail des conseillers financiers. Elle met en lumière le processus de rationalisation et de standardisation d’une activité longtemps disséminée au sein du bureau de Poste. La sociologie du travail est mobilisée dans le but de déconstruire les catégories, pour retrouver les hommes derrière la fonction de conseiller financier de la Poste. La tension entre la vente et le conseil, entre commerce et service public est analysée au travers des trajectoires individuelles, des valeurs, représentations et logiques identitaires des conseillers financiers.
Travail récompensé d’une mention spéciale du jury pour le Prix Crédit Agricole d’histoire des entreprises 2011