Comité pour l'histoire de la Poste

Les PTT, vus par les postiers à travers les revues internes et les associations, en Alsace, de 1918 à 1939

Autrice

MEYER Marie-Cécile

Diplôme

Maîtrise

Thématique de recherche

Pagination

175 pages

Direction de recherche

Bernard VOGLER

Université

Université de Strasbourg

Année de publication

Résumé

L’étude d’un groupe d’hommes, celui des postiers, englobe toutes les catégories de personnes des PTT, aussi bien les fonctionnaires que les agents, les employés et les ouvriers. Cette analyse s’inscrit bien entendu dans le temps et la durée. Le retour de l’Alsace à la France et la situation délicate des années 1920 et 1930, sont en effet déterminants. Dans notre recherche, nous avons essayé d’analyser le système de perception des postiers alsaciens face à l’employeur ; en d’autres termes, comment le personnel conçoit-il son administration : les PTT ? Ce service public est considéré dans une large optique : il est tout autant question de l’administration-employeur que l’administration-cadre de vie ; la Poste n’est pas uniquement conçue comme une simple administration à qui on essaie de faire entendre ses revendications, elle recouvre en fait une réalité beaucoup plus complexe. Quel type ou plutôt quels sont les types de relations qui unissent l’employeur aux employés ? Comment l’administration est-elle vue par le personnel ? S’agit-il d’affrontement ou encore de collaboration, les PTT sont-ils perçus comme un milieu de vie ?


Pour procéder à cette analyse, nous avons eu recours à plusieurs types de sources. La Revue de l’Union Fédérative des PTT d’Alsace-Lorraine constitue notre source principale. Il s’agit d’un mensuel voire bimensuel selon les périodes, publié de 1921 à 1939. La majorité des articles sont écrits en allemand, ce qui est lié au fait que les membres de cette association professionnelle (qui est créée le 25 avril 1921) sont surtout des alsaciens de souche. Le Journal PTT Rhin et Moselle est également d’une grande richesse. Il s’agit de l’organe de la 7e région du Syndicat National des Agents des PTT (CGT). C’est un bulletin mensuel publié dès 1927 et spécifique à l’Alsace-Lorraine en raison des questions particulières qui agitent alors cette région. Son étude est intéressante car elle relève du point de vue du syndicat national. Plusieurs dossiers du fonds Valot concernant les PTT nous ont été fort précieux pour confronter les diverses appréciations : celles du personnel et celles de l’administration. D’autres sources ont été consultées : registre des associations de Strasbourg, archives privées de l’UECM (Union d’Épargne et de Crédit Mutuel des PTT), ouvrages juridiques de l’époque, bulletin officiel d’A-L. Tous ces documents ont permis de dégager trois grandes trames essentielles.


Les décennies 1920 et 1930 sont des années de tourmente pour les postiers alsaciens qui émettent un certain nombre de revendications professionnelles matérielles et morales. Les requêtes d’ordre matériel sont un aspect incontournable des relations employés / employeurs. L’Alsace est touchée de même que la France par la situation précaire qui caractérise cette période. Les rapports entre les postiers et leur administration sont significatifs ; il s’agit d’une bataille permanente pour l’amélioration des conditions d’existence. Le corps postal alsacien nous donne l’image d’un monde professionnel actif, réagissant par exemple vivement aux décrets-lois et aux restrictions budgétaires. Même si les fonctionnaires ne subissent pas de perte de leur pouvoir d’achat après 1930, il n’en demeure pas moins qu’ils se sentent constamment lésés.
Ensuite, les revendications morales sont un autre élément révélateur des difficultés de l’intégration dans le giron administratif français. Le problème de l’avancement, le difficile processus d’assimilation sur lesquels se greffent les questions de langue, de justice et de discipline, sont des variations propres à créer un climat orageux dans le milieu postal alsacien. Le système d’avancement est un objet de controverse permanent. L’adaptation entre deux régimes établis sur des principes opposés est hasardeuse. C’est pourquoi le personnel concerné tente de défendre l’ancien système d’avancement allemand. Cette question suscite beaucoup de remous et les critiques deviennent souvent acerbes à l’égard d’un système administratif jugé injuste et arbitraire. La question délicate du rappel du service militaire préoccupe également le corps postal.
Le processus d’assimilation révèle toute l’ampleur des difficultés qui se manifestent après 1918. Le statut des postiers alsaciens de 1923, compilation de droit général et de droit local, tente d’être un modus vivendi pour l’intégration, et est accueilli tel quel par le personnel. Mais plusieurs ombres subsistent ; les postiers relevant du statut local obtiennent une alternative : celle d’être régis intégralement par les lois administratives françaises. Cependant, cette option s’avère être pour beaucoup un piège et pose finalement un problème épineux. En outre, le reclassement est lui aussi sujet à controverse. Jusqu’au 31 mars 1922, date du décret de reclassement, le personnel ne cache pas son impatience et les relations avec l’administration sont rythmées par les hésitations dont celle-ci fait preuve.


Par ailleurs, afin d’étudier les revendications particulières et de percevoir de manière plus fine les facteurs qui guident le système de perception du personnel, nous nous sommes rapprochés de plusieurs catégories de personnel plus ou moins emblématiques des PTT. Les revendications catégorielles nous permettent de voir que les postiers ont beaucoup de peine à se repérer dans un nouveau monde dont la configuration traditionnelle a été bousculée. L’analyse des doléances des employés, des agents et de la situation particulière des gérants d’agences postales est significative : dans la plupart des cas, on s’élève contre l’incompréhension de l’administration.


En second lieu, la fibre associative dans les PTT est un autre aspect de notre étude. La Poste est une entité à laquelle s’identifie le personnel. Le sentiment d’appartenance à un groupe est à la base de cette sociabilité. Ce phénomène associatif est visible à travers diverses facettes. Pendant l’entre-deux-guerres, les postiers alsaciens s’initient aux loisirs instructifs qui ont deux caractéristiques essentielles : ils se font dans le cadre de la grande famille postale alsacienne et ont pour but de développer la connaissance scientifique du personnel. Ainsi, la visite d’établissements industriels de notoriété régionale dégage un dessein d’ouverture et d’éclectisme. Dans le même sens, la fréquentation de l’université populaire traduit une volonté délibérée de diffuser le savoir parmi les postiers. Tous ces éléments démontrent que la Poste est un lieu privilégié dans lequel naît et se développe cette sociabilité ; le cadre postal devient le cordon constitutif de la grande famille postale alsacienne.


En outre, la diffusion d’un mouvement culturel atypique met en évidence une autre perspective : celle d’une Poste foisonnante et vivante. Les postiers alsaciens ne se cantonnent pas dans un mouvement culturel régional : ils essaient au contraire de se rattacher au mouvement national et d’y participer activement. Néanmoins, cette tentative reste dans la plupart des cas assez crépusculaire. C’est pourquoi ils essaient de propager un phénomène culturel original. En ce sens, les œuvres littéraires écrites par les postiers compilent souvent culture régionale et culture française. Elles nous renvoient l’image d’un milieu postal actif où le personnel cultive la sensibilité littéraire et poétique, ce qui donne une coloration particulière au cadre institutionnel : aux qualités professionnelles du personnel se joignent des valeurs culturelles. Enfin, les postiers ont également œuvré pour un « œcuménisme culturel ». L’ébauche du mouvement espérantiste en Alsace en est un bon exemple. Le personnel essaie de participer à cette grande réflexion sur la paix, mais somme toute, de façon assez limitée.


Le sport représente dans le mouvement associatif un élément caractéristique de la sociabilité et de la représentation d’une identité commune. A travers l’exemple de l’ASPTT de Strasbourg, nous avons pu constater que le sport permet au personnel d’affirmer son appartenance et son attachement à une équipe soudée. En dernier lieu, nous avons pu remarquer que l’élan social est très présent pendant cette période dans les PTT alsaciens ; le coopératisme, le mutualisme et la bienfaisance y trouvent leur place. Cette œuvre sociale se fait dans le cadre de la Poste ; même si le soutien de l’administration est manifeste, les postiers restent les principaux instigateurs.


Plusieurs résultats découlent donc de cette recherche. De 1918 à 1939, les postiers alsaciens se sentent continuellement incompris par leur administration. Même si le malaise est bien réel, il est nécessaire de nuancer. En effet, le maintien de nombreux privilèges (la loi sur le statut des fonctionnaires d’Alsace-Lorraine du 22 juillet 1923 en étant un bon exemple) et un pouvoir d’achat stable voire renforcé au cours des années 1930, permet de conclure à une relativisation de la situation. Ensuite, même si les années de l’entre-deux-guerres sont perçues comme des années de tourmente par le personnel, l’existence d’un mouvement associatif et mutualiste actif a ouvert d’autres perspectives. Pendant cette période, la Poste est extrêmement vivante, c’est un lieu où toutes les initiatives trouvent place.

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