Comité pour l'histoire de la Poste

Le receveur des Postes, entre l’État et l’usager (1944-1973)

Autrice

JOIN-LAMBERT Odile

Diplôme

Thèse

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Direction de recherche

Patrick FRIDENSON

Université

EHESS

Année de publication

Résumé

Le métier de receveur s’organise autour d’un ensemble de missions définies par l’État dans le cadre d’un statut particulier de la fonction publique. Le réseau des bureaux de poste met sur l’ensemble du territoire le receveur au contact des usagers. Les pratiques et les représentations du métier en ont modelé peu à peu l’exercice. L’équilibre entre ces trois pôles -l’État, le personnel et enfin l’usager, qui n’apparaît pas en tant que tel mais à travers les deux premiers –se modifie entre 1944 et 1973, dans une période de tertiarisation de l’économie, de transformation de l’État, de renouvellement du travail de bureau et de moindre rareté sociale relative des emplois d’encadrement.


L’approche retenue est interdisciplinaire. L’histoire des receveurs ne peut être expliquée uniquement soit par l’évolution du droit public, soit par la sociologie des acteurs, soit par les réflexions sur l’efficacité des entreprises : c’est cet ensemble qui a été utilisé. D’une part, le receveur est un fonctionnaire qui n’est pas un salarié comme un autre. D’autre part, sa responsabilité du téléphone, du courrier et des services financiers correspondent à un ancrage particulier dans la société française entre 1944 et 1973. Receveurs et receveuses doivent assurer ces missions dans les conditions d’égalité, de continuité et d’adaptation prescrites par la jurisprudence et souhaitées par la conception française du service public. La perspective juridique et réglementaire et l’étude du statut du corps reste donc importante. Mais une attention particulière a été portée aux différences entre le travail prescrit par les circulaires et les pratiques effectives. Elle prend appui sur les méthodes de la sociologie du travail, de la gestion et de l’histoire.


On distingue donc d’abord trois périodes. Entre 1944 et 1958, le receveur est le plus souvent une personnalité locale, par son niveau de vie relativement aisé, son âge avancé et ses relations avec les autres fonctionnaires dans les recettes principales des grandes villes, et par ses contacts fréquents avec les usagers dans les petits bureaux ruraux. Les receveurs, soutenus par leur administration, réussissent à imposer un statut unique pour l’ensemble des recettes, qui leur permet un déroulement de carrière exceptionnel, dans un contexte où la République conserve une base rurale et où la référence politique aux origines de la IIIe République est importante. L’équilibre est alors favorable aux receveurs.


Pour la période de 1958 à 1968, l’étude diachronique des itinéraires professionnels montre que tout se passe comme si le corps n’était que peu affecté par les mutations démographiques et sociologiques que la France connaît au cours de ces années. Pour faire face à l’ouverture des nouveaux emplois de receveurs qu’appelle l’urbanisation, la Poste puise en priorité dans les réserves du secteur public et dans les réserves rurales puis, seulement progressivement à partir de la Seconde Guerre mondiale, dans les réserves ouvrières. Le corps s’individualise de plus en plus dans l’ensemble des carrières des PTT comme une fidélité au service de l’administration, en contraste avec une bonne partie des autres agents qui n’effectuent plus aux PTT une carrière complète.


Entre 1968 et 1973, l’État reprend l’initiative, assignant à la Poste des missions financières renouvelées : le receveur devient à la fois représentant de l’État et, en quelque sorte, marchand. L’évolution majeure des tâches des responsables des bureaux de postes résulte dès lors d’une complexification du service, dans un contexte de recherche de gains de productivité. Le service du receveur se rationalise, tandis que ses objectifs et ses moyens se concentrent. Ensuite, l’étude des feuilles de personnel fait apparaître des mobilités inattendues. En effet, le corps des receveurs se distingue de plus en plus dans une fidélité au service de l’administration, en contraste avec les autres agents situés au niveau de l’exécution aux PTT.

Nous avons pu également établir à partir de l’étude quantitative des dossiers de personnel quatre itinéraires professionnels des receveurs qui ne sont pas initialement tracés par l’organisation statutaire ni la gestion du personnel. Ils témoignent de la marge d’adaptation du statut à la diversité des bureaux de poste durant cette période. Le type le plus fréquent est précisément le moins ascensionnel et celui qui s’achève en milieu rural : il témoigne de la possibilité de carrières marquant la préférence des agents pour la stabilité dans le contexte de croissance économique.


Enfin, en ce qui concerne les représentations du service public au cours de la période examinée, une variable majeure est la comptabilité publique pour les receveurs. Leur rattachement symbolique à la démocratie est fort. Celle-ci fait partie des représentations collectives. Le plus important concerne l’application du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables qui garanti l’honnêteté et les décisions de l’autorité politique légitime. L’idée de séparation des pouvoirs est donc au cœur de la démarche de légitimation des receveurs comme comptables.

L’histoire des receveurs et des receveuses des postes propose donc un éclairage propre sur le service public. Ils et elles réalisent chacun(e)s de manière propre un équilibre entre une culture d’État imprégnée par le public, des exigences régaliennes qui imposent le bouclage des circuits financiers, la gestion d’activités d’entreprise et un personnel qui a le statut de fonctionnaire.

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