Toute étude de la Poste dans un territoire donné implique de prendre en compte les spécificités de ce dernier. Ceci est vrai quel que soit le territoire considéré, mais se vérifie dans les territoires particuliers comme les îles. Ainsi, ce mémoire a pour but de montrer comment cette institution a pu se développer dans ces terres insulaires à une époque marquée par un processus de développement postal dans l’ensemble de la France. Ce département de la Charente-Inférieure est né de l’union des provinces d’Aunis et de Saintonge. Il compte au total quatre îles : Ré, Oléron, Aix et Madame. Cependant, seules les trois premières entrent dans le cadre de notre étude, car personne ne réside de manière permanente sur l’île Madame : elle n’est donc pas concernée par le service postal. Choisir d’étudier la Poste pendant ces deux monarchies que sont la Restauration et la Monarchie de Juillet permet de pouvoir s’intéresser à un événement fondamental dans le développement de la Poste, et même plus largement de son histoire toute entière : la mise en place du service postal rural prévue en 1830 par la loi Sapey (1829). Les îles charentaises, majoritairement rurales, sont donc concernées par cette politique de désenclavement des campagnes initiées par l’administration postale. Force est de constater que ce service postal rural est encore loin d’être parfait dans ces îles de Charente-Inférieure, comme d’ailleurs dans bon nombre de zones rurales françaises. Les raisons sont en partie physiques, mais aussi pour une bonne part idéologiques. Effectivement, l’insularité n’implique pas seulement une configuration géographique mais aussi des manières particulières de penser, de vivre, qui ont des conséquences pour la Poste.
Ces îles charentaises ne sont pas des zones rurales totalement comparables aux autres campagnes françaises. L’insularité n’est pas neutre sur le plan du développement postal. Par conséquent, ces îles sont intégrées au processus de développement postal du département, mais non sans difficultés. L’insularité charentaise peut être qualifiée de « ruralité particulières » qui constitue un frein à ce processus. Aussi bien Ré, Oléron qu’Aix connaissent des difficultés similaires à celles que peuvent connaître les campagnes du continent. Mais le développement postal s’avère lent et difficile dans ces territoires car s’ajoutent des difficultés spécifiques à la situation d’insularité. Ainsi, comme dans la plupart des zones rurales du pays, l’analphabétisme est particulièrement prononcé dans ces îles, ce qui ne contribue pas à favoriser le développement de la Poste. De plus, en examinant la situation d’enclavement des îles charentaises face à la conception du territoire par l’Administration postale, nous pouvons constater qu’il en résulte des conséquences préjudiciables pour le développement de la Poste dans ces dernières. Sont en premier lieu concernés les tarifs postaux. Les décisions à leur sujet, prises exclusivement au niveau central, ne contribuent pas à résoudre le problème d’enclavement des îles. Sont également concernés les bureaux de poste, infrastructure essentielle au développement postal : ceux-ci augmentent de façon particulièrement lente dans ces territoires. Il est également essentiel de souligner la grande dépendance des îles à l’égard du continent dans ce processus. La Poste dans ces dernières est entièrement conditionnée par la présence du continent charentais. Mais plus largement, la grande centralisation de cette époque, évidente lors de ce processus de développement postal, est difficilement supportable dans ces îles. En effet, les insulaires ont un très fort esprit d’indépendance. Mais en plus, ils ont a subir un sorte de double centralisation car le lien avec l’administration postale se fait par le biais de l’institution préfectorale située sur le continent.
Entre ce continent charentais et les îles, les relations ne sont marquées ni par leur abondance, ni par leur facilité. Pourtant, la Poste va contribuer à faire évoluer cette situation au début de la Restauration. Cette évolution marquée par un accroissement progressif des relations entre ces territoires est permise mais aussi exigée par le développement des Postes. En effet, cet accroissement se fait par le biais d’une correspondance courante entre îles et continent pour l’organisation de la Poste insulaire. Elle a lieu entre les responsables locaux et le préfet, et les sujets abordés concernent divers aspects de la Poste dans les îles. Si nécessaire, une correspondance qualifiable de « forcée » entre îles et continent a lieu en cas de problème relatif à la Poste dans les îles. Elle touche au personnel, au service postal mais aussi à la franchise postale. En dehors de cette correspondance spécifiquement relative à la Poste se développent des échanges entre habitants insulaires et continentaux. Certes, la correspondance purement privée entre ces deux catégories d’habitants reste encore limitée. Il ne s’agit pas encore d’un moyen de communication usuel car la correspondance est perçue comme aussi inutile que difficile. En revanche, plus fréquente est la correspondance entre personnes publiques et privées. Cette dernière est très utile pour la résolution de problèmes insulaires. De même, la correspondance entre personnes publiques s’avère précieuse pour aider les habitants des îles. Une autre correspondance atteste d’échanges réguliers : il s’agit de celle relative au sujet des bureaux de bienfaisance. En effet, celle-ci mérite toute notre attention de par sa singularité mais de par son utilité, car ces bureaux de bienfaisance sont très appréciables dans un environnement insulaire. Nous pouvons dire que la Poste participe au fonctionnement de cette institution. La présence de la Poste dans ces îles est donc bénéfique. Bien sûr, elle l’est sans nul doute dans les autres territoires, mais ceci est particulièrement perceptible dans ces territoires insulaires.
Dans ces derniers, le développement de la Poste contribue à une évolution spécifique liée à la situation d’insularité. Cette dernière peut en effet être considérée comme instigatrice d’une mise en relief identitaire de ces îles de Charente-Inférieure. Certes, la Poste n’en est pas seule à l’origine, mais elle joue un rôle primordial dans ce phénomène. Les insulaires eux-mêmes n’en sont certainement pas conscients. Cependant, avec un regard d’observateur attentif et le recul historique nécessaire, nous pouvons fort bien le percevoir. Cette mise en relief identitaire revêt trois aspects différents. L’un deux concerne une mise en relief identitaire insulaire. Celle-ci se concrétise par un élargissement de la solidarité insulaire qui est favorisée par la Poste : au sein d’une même île mais aussi entre deux îles. De plus, la présence de cette institution révèle des points communs insulaires. Un autre aspect concerne une mise en relief départementale, concrétisée par la revendication progressive d’une pleine appartenance au continent charentais. En effet, les insulaires réclament un service postal de même qualité que celui du continent. Ils prennent donc conscience de leur appartenance au département, au même titre que les continentaux. Réelle, cette appartenance est donc soulignée par la Poste, pas seulement par ces réclamations mais aussi par des éléments communs rendus plus visibles. Ainsi, le même langage local est utilisé dans les correspondances. De plus, le service postal insulaire est véritablement le fruit d’une collaboration entre insulaires et continentaux. Sans la Poste, une telle collaboration ne se serait pas forcément produite spontanément dans d’autres domaines. Enfin, le dernier aspect concerne une mise en relief identitaire nationale. La Poste permet une ouverture des îles sur le continent charentais qui elle-même permet une ouverture sur le continent français. Ainsi, corrélativement au développement de la Poste qui en fait apparaître le besoin, les liaisons maritimes entre îles et continent évoluent. La Poste joue également un rôle actif dans ce domaine, par un encouragement croissant entre ces îles charentaises et l’ensemble du royaume.
Ce développement de la Poste dans ces îles charentaises s’inscrit donc dans un processus d’évolution générale de ces dernières. A ce titre, l’époque étudiée constitue une période charnière car elle marque le point de départ d’une nouvelle ère dans l’histoire des îles de Charente-Inférieure. Après des débuts difficiles, la Poste parvient progressivement à se développer dans ces territoires. Cette étude fait donc apparaître des points communs avec la situation de la Poste dans d’autres territoires français, mais aussi des spécificités indéniables. La manière de mener cette étude est, elle-même spécifique. En effet, il est indispensable de comprendre tout d’abord les particularités induites par l’insularité afin de cerner pleinement la situation de la Poste dans ces territoires à cette époque.