L’histoire de la Poste entre 1789 et 1855 est marquée par deux faits majeurs : le déclin relatif de la Poste aux chevaux et l’essor de la Poste aux lettres. Ces évènements s’accompagnent de la création d’un véritable service public. En effet, nous avons vu dans un premier temps que la Poste aux chevaux utilisée par les plus fortunés est dominante à la fin du XVIIIe siècle. Elle représente le moyen de transport le plus rapide à l’époque, avec ses chevaux vigoureux et ses malles-poste qui ne cessent de s’améliorer durant toute la première moitié du XIXe siècle. Les maîtres de poste bénéficient de nombreux privilèges et certains vivent aisément. L’organisation de ce service est complexe mais bien structurée : les malles-poste circulent sur son réseau national de communications jonché de relais. Les structures de ce service requièrent donc un personnel important, diversifié, et non moins hiérarchisé. A chaque infrastructure est associée une fonction : le maître de poste et le postillon sont attachés au relais, et le courrier sur les routes. C’est ainsi que la Poste aux chevaux rayonne jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Cependant, l’histoire de la Poste aux chevaux dans la première moitié du XIXe siècle ne reflète pas la même harmonie. La période révolutionnaire marque en effet une véritable rupture. De nouvelles réformes instituées dans le but de tourner la page de l’Ancien Régime bouleversent l’organisation du service : c’est surtout l’abolition des privilèges des maîtres de poste en 1789 qui entraîne l’abandon de la plupart des relais. De même, la conjoncture économique et politique que les gouvernements successifs doivent surmonter détourne ceux-ci des impératifs postaux, si bien que le service est négligé et les communications intérieures fortement réduits. La Poste aux chevaux se désagrège donc peu à peu dans le département de la Gironde. Pourtant, la désorganisation complète du service, qui jugule la circulation de l’information, conduit l’Etat à tenter de l’atténuer par quelques mesures ; des indemnités sont accordées aux maîtres de poste mais ne permettent pas de relever durablement la Poste aux chevaux. La généralisation des difficultés financières rend toutes les initiatives inefficaces.
Il faut attendre le Consulat et l’Empire pour que l’Etat des routes soit amélioré et le service des relais rénové durablement. Le contexte militaire participe aux efforts entrepris par l’Etat pour rénover le service. Napoléon a eu, en effet, conscience de l’importance du service de la Poste aux chevaux dans la circulation des informations aux frontières. Ainsi, on peut dire que la guerre d’Espagne a favorisé le relèvement de la Poste aux chevaux dans le département de la Gironde. L’empereur a sauvé le maillage des relais et entrepris des réformes pour le protéger durablement. En outre, la période de la Restauration est propice aux affaires commerciales des négociants girondins qui amplifient le trafic routier. Jusqu’au milieu des années 1840 s’opère une grande vague d’établissement de relais, parallèlement à la densification du réseau de bureaux. Ainsi, bien que la Poste aux chevaux a été profondément touchée par la tourmente révolutionnaire, elle a survécu jusque dans les années 1840, grâce aux régimes qui l’ont suivi.
Par ailleurs, nous avons constaté que le service de la Poste aux lettres en est encore à ses prémices à la fin du XVIIIe siècle. Contrairement à la Poste aux chevaux, cette institution est encore peu développée dans la mesure où le réseau des bureaux ainsi que la distribution est limités au cadre urbain. Cela s’explique par le fait que l’usage de la correspondance est limité sur le territoire, notamment dans le département de la Gironde, à la population riche et instruite des villes comme Bordeaux. Celle-ci est d’ailleurs dotée de sa propre infrastructure postale, appelée « la Petite Poste », utilisée par les négociants pour envoyer des lettres aux colonies. Toutefois, les ressources que peuvent procurer à l’Etat la Poste aux lettres fournissent un motif pour la transformer en service de l’Etat strictement contrôlé. En effet, le service des Postes devient, sous le Directoire, la Ferme des Postes dirigée par l’Etat. Les cadres d’une forme de service public sont posés.
Le début du XIXe siècle représente un renouveau pour la Poste aux lettres qui voit son activité s’élargir continuellement jusque dans les années 1830. Avec la réorganisation administrative du début du siècle, la correspondance des fonctionnaires a foisonné et il a fallu en conséquence une adaptation du service postal. La distribution entre donc dans les campagnes. Les autorités administratives, et surtout les municipalités ont le privilège d’avoir à leur disposition des messagers-piétons, chargés de distribuer la correspondance administrative, plusieurs jours par semaine.
Mais il faut attendre la réforme de 1829 pour que le développement de la distribution rurale réponde aux besoins de la population. Le service rural est crée ; il consiste à effectuer une distribution au domicile de tous les Français. A cette réforme s’ajoute la création du service quotidien. Les liens entre les populations, même les plus reculées, sont ainsi assurés. Le service postal participe donc de l’ouverture du monde rural, matérialisée par l’implantation d’un maillage dense et homogène d’infrastructures postales.
La réforme de 1830 apparaît donc comme une véritable révolution dans l’histoire de la Poste. Elle s’accompagne non seulement d’une intégration géographique de la Gironde rurale à tout le territoire français, mais aussi d’une intégration démocratique renforcée par la baisse des tarifs en 1848. De même, à la fois cause et conséquence des réformes engagées par l’administration des Postes, le trafic postal connaît une croissance spectaculaire au cours du XIXe siècle. Pour soutenir l’activité de la Poste aux lettres, un grand nombre d’employés est recruté. Pour cela, il convient d’organiser le personnel de façon hiérarchisée. Du directeur de bureau au commis, les carrières sont diversifiées. Surtout, cette période est marquée par la naissance du facteur rural, qui incarne le lien entre la Poste et la population et surtout l’apogée de la Poste aux lettres.
Malgré les apparentes divergences entre la Poste aux chevaux et la Poste aux lettres, ces deux services, non seulement, détiennent un rôle identique, mais aussi qu’ils sont complémentaires. La Poste aux lettres et la Poste aux chevaux existent comme services de transport et de distribution des lettres et paquets. Leurs attributions sont complémentaires, les outils utilisés dans l’acheminement sont mis en commun. Durant la première moitié du XIXe siècle, l’évolution des techniques et des règles postales permet les progrès du service qui s’ouvre à tout public.
Toutefois, bien plus qu’une simple collaboration, il existe une véritable complémentarité entre les deux services postaux. La nécessité du transport en poste pour la Poste aux lettres explique les liens entre les deux services postaux. Mais, de ce rapport étroit, découlent de nombreuses difficultés en coordination. Ainsi, jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’incomplète symbiose des deux services entre eux rend difficile la mise en place du service rural quotidien et menace l’existence de la Poste aux chevaux.
En fait, le milieu du XIXe siècle constitue pour le service des deux Postes le début de la confrontation à la modernité et aux nouvelles technologies. Après 1840, le fonctionnement de la poste aux chevaux commence à s’affaiblir. Cependant, les problèmes de retard dus à la lenteur du transport conduisent la Poste aux lettres à se passer progressivement du transport en malle-poste. L’institution du service des Postes est ébranlée par l’apparition d’une nouvelle technique de transport, la vapeur. Tandis que la Poste aux lettres s’adapte à ces nouveaux moyens de transport plus rapides, le service de la poste aux chevaux est sacrifié. Le réseau de la Poste aux chevaux se désagrège considérablement en Gironde. Alors qu’à la fin de l’Ancien Régime, il atteignait une dimension nationale, les quelques tronçons qui sont conservés en font un réseau local. Mais, au fur et à mesure de l’expansion ferroviaire, il ne cesse de se dissoudre. C’est surtout la défection des Dotézac, famille importante dans l’activité postale qui a porté un coup fatal à la Poste aux chevaux girondine.
Quant à la Poste aux lettres, elle a su profiter des avantages du bateau à vapeur et du chemin de fer auxquels elle a confié le transport de la correspondance. La nouvelle organisation du réseau postal favorise ainsi un gain considérable de temps. La Poste aux lettres peut donc se défaire de sa dépendance à l’égard de la Poste aux chevaux. Elle devient l’unique entité à composer le service postal et assure seule le service public.
L’histoire de la Poste à cette période est donc une adaptation permanente à l’évolution de la société et à celle des techniques les plus modernes. Gagner du temps, affronter les obstacles dus au relief et assurer la distribution de la correspondance ont représenté les impératifs permanents de la Poste durant cette première moitié du XIXe siècle. Ils ont permis l’essor du service public en faveur de la Poste aux lettres mais aux dépens de la Poste aux chevaux.
Pourtant, selon Mattelard, les moyens manquent toujours au milieu du XIXe siècle. Par exemple, la couverture du territoire en bureaux de poste est insuffisante. Il souligne également la vétusté des établissements, la faiblesse des effectifs du personnel et des infrastructures et les plaintes des usagers devant l’apparente inertie de l’administration des Postes. C’est surtout, comme nous l’avons vu, l’inaction de l’Etat en 1852 à l’égard de la Poste aux chevaux, qui est décriée et assimilée à celle des gouvernements révolutionnaires.
En tout cas, il ressort de l’analyse des Postes dans la première moitié du XIXe siècle, un fort particularisme girondin. Il réside dans l’importance accordée par le commerce et ses acteurs principaux à l’activité postale. Le rôle des négociants du Médoc a été souvent évoqué. Toutes les réclamations, les requêtes et les arguments des administrations porte-parole de la population girondine tournent autour de la nécessité commerciale. La ville de Bordeaux, qui bénéficie d’un service postal bien organisé a un poids considérable, en matière d’intégration postale. Cette plaque tournante contribue à développer les échanges commerciaux dans le département et a fortiori les échanges épistolaires. Ainsi, à partir de 1830, la Poste entre dans la campagne girondine. En ouvrant le département aux autres voire aux pays étrangers, elle favorise son activité économique. Ainsi, selon Mattelard « après avoir contribué à l’organisation administrative, elle maintient des liens entre les territoires et comme c’est sa vocation entre les hommes ».