Les flux télégraphiques et postaux internationaux sont régulés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle par le biais d’organisations internationales spécifiquement créées à cet effet : l’Union télégraphique internationale (1865 ; qui devient en 1932 Union internationale des Télécommunications) et l’Union générale des Postes (1874 ; qui devient en 1878 Union postale universelle). Ces arènes de coopération sont le lieu d’élaboration de normes tarifaires et techniques, assurant l’interconnexion des réseaux nationaux. L’objet de cette thèse est de retracer l’histoire de la politique de la France à leur égard. Ceci afin de mieux cerner la manière dont se construit et évolue un ordre international des communications d’un milieu de siècle à l’autre, autour d’institutions, de règles et de valeurs partagées par les partenaires de la coopération. Notre étude débute avec la formation de l’Union télégraphique internationale en 1865, suivie par son équivalent postal, l’Union générale des Postes en 1874. Elle s’achève avec la constitution de la Conférence européenne des administrations des Postes et des Télécommunications en 1959, nouvelle institution ne remplaçant pas les précédentes mais représentant à partir de cet instant, pour la France, l’arène privilégiée de coopération technique internationale. L’absence d’étude sur la politique de coopération postale française et les quelques jalons posés jusqu’alors dans le domaine des télécommunications ouvrent un champ d’étude d’autant plus stimulant qu’il touche à des processus originaux.
Les sources utilisées sont présentées de manière classique. Les sources imprimées sont tout à fait importantes pour notre travail, en particulier les documents officiels, c’est-à-dire les conventions et les règlements internationaux. Ce corpus juridique est accompagné par les procès-verbaux des congrès et des conférences, publiés sous le sceau des Unions. Pour épais qu’ils soient, ces volumes ne disent pas tout. Les administrateurs et les ingénieurs qui composent les instances internationales n’écrivent malheureusement pas leurs mémoires, à la différence des diplomates. Certains périodiques seront extrêmement utiles pour suivre l’actualité de la coopération, et tout particulièrement les journaux qu’ont eu à publier dès leur création les bureaux permanents des Unions télégraphique et postale. Les cartes des réseaux et les recueils statistiques seront aussi mobilisés.
Les sources archivistiques sont d’abord les archives de l’administration des postes, télégraphes et téléphones, versées, pour le principal, aux Archives nationales et celles de l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères. Les dossiers diplomatiques ont l’avantage d’être fort bien classés et d’être souvent le point de collecte et de coordination des vues des différents acteurs impliqués. Nous tirerons partie de la richesse de la série des Unions internationales (centre des archives diplomatiques de Nantes). Hors de France nous avons sondé les archives britanniques équivalentes, sur les points les plus sensibles, et avons constaté que les bureaux des Unions sont un centre de documentation extrêmement riche sur le plan des imprimés mais plus pauvre sur le plan archivistique.
La thèse s’organise en trois parties, l’originalité de chacune étant le produit du sens donné à la coopération internationale par les acteurs et de son cadre spatial d’organisation. Le sens alterne selon qu’il est orienté par une logique d’ouverture ou une logique de fermeture. L’organisation spatiale combine l’échelle continentale et l’échelle universelle. Le croisement de ces deux variables caractérise l’évolution de ce que nous avons dénommé le pacte de coopération.
Première partie – Un pacte d’expansion
Plusieurs associations télégraphiques sous-régionales apparues en Europe dans le cours des années 1850, dont l’une autour de la France, s’assemblent en 1865 lors d’une conférence organisée à Paris (Union télégraphique internationale). La France n’entre en revanche qu’à contretemps dans l’Union générale des postes fondée à Berne en 1874. En 1878 cette dernière est rebaptisée Union postale universelle. L’ordre qui se construit en Europe se mondialise, principalement par l’intégration des territoires sous le contrôle des empires. Il procède d’une démarche d’ouverture des réseaux nationaux aux flux internationaux. Il s’agit de développer la correspondance internationale en proposant des services moins coûteux et plus simples. L’uniformisation des dispositions réglementaires est la voie d’accès à cette dynamique.
Deuxième partie – Un pacte protecteur
Un ensemble de forces à la fois techniques et politiques ouvre une période d’instabilité et de recomposition des équilibres au début du XXe siècle. Mondialisée, la coopération se recentre sur les espaces continentaux. Dans le même temps elle s’affirme comme un moyen de contrôle efficace pour les monopoles publics nationaux face à des dynamiques déstabilisatrices. La France est une composante active de ces évolutions (1903-début des années 1930).
Elle participe à la réaction internationale que suscite la tentative de monopolisation des radiocommunications par l’entreprise Marconi. Les administrations produisent un nouveau pan de la réglementation internationale des communications. Jusqu’à la fin des années 1920 se pose la question de son articulation avec les principes régulateurs établis antérieurement. Les intérêts économiques et stratégiques en cause, le caractère très évolutif des techniques compliquent les choix. Le débat fait apparaître l’émergence d’un nouvel acteur, les Etats-Unis. Dans le même temps, les réseaux téléphoniques, aéropostaux et de radiodiffusion se mettent en place à l’échelle continentale et des formules adaptées sont élaborées. Un équilibre entre ces différentes dynamiques s’établit à la fin de la période, qui fait apparaître une restructuration de l’ordre international autour de pôles continentaux.
Troisième partie – Quel pacte européen ?
S’ouvre alors une dernière phase, durant laquelle l’équilibre établi entre le régional et l’universel est soumis à de fortes tensions, cette fois essentiellement politiques. La politisation de la coopération technique internationale pose notamment la question de l’identité du pôle européen. Les projets politiques d’unification de l’Europe sollicitent les réseaux d’un côté, de même que la Guerre froide de l’autre.
Face à ces forces multiples et contradictoires, la période se clôt en 1959 avec la création d’une nouvelle institution, la Conférence européenne des administrations des Postes et des Télécommunications (CEPT). Déliée des institutions de la construction européenne, la CEPT ne remplace pas les Unions internationales mais devient pour l’administration française comme pour ses homologues européennes le lieu privilégié de coopération et de préparation des conférences mondiales.
La conclusion attire l’attention sur trois phénomènes. La coopération technique internationale n’est pas déterminée par une raison technique abstraite. Elle est le fruit de l’interaction de variables techniques et de variables politiques. Le consensus technique et commercial international intègre les rapports de force internationaux. Quant à la coopération internationale, elle est prise en charge par une communauté d’experts, de professionnels qui ont pour valeur l’universalisme, l’apolitisme et l’efficacité mais qui ont aussi à cœur de défendre les monopoles et la souveraineté des nations. Les relations avec l’appareil diplomatique sont compliquées. Enfin, l’ordre international des communications est de nature confédérale. Il permet d’aborder la question de l’articulation entre universalisme et régionalisme ainsi qu’entre ordre européen issu du XIXe siècle et construction européenne amorcée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En cela, c’est un objet d’histoire européen.