Ladislas Ignace Berchény est un comte hongrois qui a connu le déracinement très jeune, suite à la défaite du mouvement indépendantiste opposant les Kouroutz magyares à la puissance habsbourgeoise au début du XVIIIe siècle. Mais cet homme plein de ressources a rebondi en se forgeant année après année une réputation dans l’armée de son pays d’accueil, la France. Lorsqu’il y arrive, âgé de vingt-trois ans, il sert Louis XV dans la compagnie des mousquetaires, puis œuvre tout au long de sa carrière à l’incorporation des régiments de hussards dans les rangs de la force française. Il voit ses efforts militaires couronnés par le grade suprême de maréchal de France en 1758. Ce parcours militaire atypique est accompagné d’une insertion sociale exceptionnelle, illustrée par sa relation privilégiée avec Stanislas Leszczynski, roi déchu de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, beau-père du roi de France.
Un portrait du futur maréchal par l’intermédiaire de dix années d’échanges épistolaires peut sembler un peu succinct, et pourtant implique l’étude de tous les grands thèmes caractéristiques du XVIIIe siècle : le contexte politique d’une Europe au centre de conflits d’intérêts, et par conséquent d’actions militaires ; les Lumières, auxquelles on peut rattacher l’âge d’or de la lettre ; mais encore le genre de vie des privilégiés que sont les membres du second ordre. Les lettres sont ici le témoin solide de la vie de Ladislas Berchény.
La correspondance abondante qu’il entretient avec ses destinataires, de statuts très différents, entre 1746 et 1756, permet en effet de se faire une image précise de l’homme, tout en révélant certains aspects du système d’échange postal sous l’Ancien Régime. L’analyse de Ladislas Berchény à partir de ce support a apporté des informations sur l’échange épistolaire au XVIIIe siècle, que cela soit par l’organisation et le coût du système postal, mais aussi par les règles qui régissent l’écriture de la lettre.
Cette intrusion dans la vie intime du comte Berchény, à travers l’outil qu’est la source épistolaire, met en valeur dans un premier temps son attachement à son pays natal, faisant de lui la figure de proue de l’émigration hongroise. L’affection qu’il porte à la Hongrie se démontre par son engagement dans le développement et l’administration du corps de hussards français, qu’il souhaite fidèle aux traditions hongroises. Ses courriers révèlent encore le rôle qu’il tient dans l’armée française en temps que maréchal de camp, et la place qu’il s’est forgée auprès de ses hauts dirigeants, tels que le comte d’Argenson et le duc de Belle-Isle. Les lettres de Berchény mettent en exergue un autre point important de sa personnalité que sont ses préoccupations paternelles : les nombreuses missives du corpus destinées à placer ses enfants dans la lignée prestigieuse de leurs ancêtres prouvent les efforts déployés par Berchény pour tenir son rang. Les traits de caractère de Ladislas, sa sagesse, sa retenue et sa piété, révélées au fil de ses échanges, ne font pas de lui un personnage fermé aux idées de son temps : empreint aux idées des Lumières sa bibliothèque révèle son goût des belles-lettres.
La correspondance de Ladislas Berchény (1746- 1756) témoigne donc de l’intégration de ce noble exilé au sein de la société nobiliaire française du siècle des Lumières.