Comité pour l'histoire de la Poste

Édito

Les sciences de la communication n’ont pas toujours, il faut l’avouer, bonne presse chez les historiens. Il y a à cela bon nombre de raisons. Querelles de chapelle – ou lutte pour l’espace universitaire – en premier lieu. Les sciences de la communication sont apparues dans l’espace universitaire après mai 1968, elles semblaient venir tout droit d’outre-Atlantique. Il n’est pas bon d’être petite dernière pour jouer dans la cour des grands. Il en reste toujours un déficit de légitimité : les sociologues en savent quelque chose. Par ailleurs, la discipline avait donné des bâtons pour se faire battre. Un grand homme comme Marshall Mc Luhan, auteur du troublant aphorisme « message is the medium » a eu de quoi perturber les sages historiens pour des lustres. Parcourant les siècles à grands pas, opérant des synthèses audacieuses, méticuleuses et prophétiques à la fois, il mettait du désordre dans les fiches et la pagaille dans l’esprit des étudiants. Combien d’autres auteurs après lui ont brossé à grands traits le tableau d’une « histoire de la communication », sautant de siècle en siècle, insoucieux des nuances prudentes proposées par les historiens ?

Par ailleurs, la linguistique s’attaquait à « nos » textes, considérés par l’autre bout de la lorgnette. Ici, plus de grandes synthèses brillantes : des analyses méticuleuses. Comptant les mots, les occurrences, la linguistique nous charmait lorsque Régine Robin passait à la moulinette de l’analyse structurale les cahiers de doléances du bailliage de Semur-en-Auxois1. Partie à la recherche de la structure des textes, bâtissant de diaboliques diagrammes, la même discipline nous plongeait en revanche dans la perplexité lorsque Umberto Eco décortiquait sans pitié les rebondissements de James Bond dans Communications en 19662. Plus tard, par la grâce des traductions, il est devenu facile pour le non spécialiste d’aborder d’autres dimensions de la discipline : la pragmatique par exemple, et tout ce qu’enseignaient, aux frontières de la sociologie et des sciences de la communication, les chercheurs qui se penchaient sur la façon dont, concrètement les humains communiquent, ce qu’ils font de leurs corps lorsqu’ils se parlent ou s’évitent, comment fonctionnent les groupes et où se placent les gens.

Or il me semble que l’histoire – et l’histoire de La Poste en particulier -, auraient beaucoup à apprendre d’eux. Que représentent nos systèmes postaux, sinon de grandes machines à communiquer, de gigantesques empires des signes ? Ce que transporte La Poste, la lettre mais aussi le mandat, le message, la base de données, ce sont des signes, des messages, des récits, organisés, perçus, utilisés en tant que tels. Système de signes, aussi, l’inscription de La Poste dans la cité, son jeu de références graphiques et bâties. Par ailleurs, les réseaux postaux ont été et sont encore l’un des supports essentiels par lesquels transite la communication dans la cité. Qui la contrôle et comment ? Comment s’articulent contenants et contenus, flux et sens des messages ? Qu’est-ce qui fait sens dans une lettre : son contenu ou le fait de la recevoir ? Enfin les multiples interactions qui président à la vie quotidienne de l’institution peuvent s’analyser comme une pragmatique d la communication. Que se passe-t-il exactement dans les espaces publics ? Comment fait-on pour se pencher et s’adresser, se redresser, se détourner ?

Ces questions sont déjà familières aux anthropologues et aux ethnologues à l’œuvre dans d’autres services de la grande entreprise. Elles pourraient contribuer à renouveler le regard de l’historien sur ses objets favoris. Il y a là, sans doute, des modèles d’analyse, des questions à poser. Peut-être pourrait-on demander, purement et simplement à nos voisins des « Sciences de l’information et de la communication » de venir nous dire ce qu’ils pensent d’une autre histoire de la Poste ? Histoire de savoir…

Catherine BERTHO-LAVENIR
Professeure d’histoire contemporaine à l’université Blaise Pascal Clermont Ferrand II
Membre du Comité de rédaction des Cahiers de Médiologie
Membre de la comm